L’exposition Munch à Paris prouve que l’on peut être célèbre et pourtant méconnu. Force est de constater que la réception de l’œuvre de Munch, artiste peintre, souffre de l’effet réducteur produit par sa cristallisation autour d’une seule image : Le Cri de Munch.
Son élévation au rang d’icône en a fait une sorte d’écran derrière lequel s’efface l’œuvre qui l’a permise et lui donne son sens. L’ambition de cette manifestation est de montrer l’ampleur de la production artistique de Munch. Elle explore son itinéraire – soixante ans de création— dans toute sa durée et sa complexité. Plus de cent cinquante œuvres seront à l’exposition Munch à Paris. Environ soixante peintures et un ensemble important de dessins, d’estampes et de photographiesy seront exposés. Vous pourrez y voir aussi des documents et des manuscrits évoquant ses incursions dans le champ de la littérature.
Que voir au musée d’Orsay ?
L’exposition Munch à Paris s’inscrit naturellement dans un des grands axes de programmation du musée d’Orsay. Il s’attache, depuis sa création, à faire découvrir ou redécouvrir les grandes figures qui ont tracé́ la voie de la modernité.
En 1991 déjà, une première exposition avait été consacrée à l’artiste norvégien. Intitulée Munch et la France, elle s’attachait plus particulièrement à ses années parisiennes. La dernière exposition qui lui a été consacrée en France (Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, 2011) abordait sa création en prenant pour prisme son « œil moderne ». Cette présentation d’ampleur, dix ans plus tard, assume une dimension rétrospective, et embrassera l’ensemble de la carrière de l’artiste.
L’œuvre de Munch occupe en effet dans la modernité artistique une place charnière. Elle plonge ses racines dans le XIXème siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. Plus encore, nous démontrerons à quel point son œuvre tout entière, est innervée par une vision du monde singulière. Celle-ci lui conférant une puissante dimension symboliste.
Edvard Munch l’exposition du symbolisme
Le symbolisme chez Munch ne se réduit pas aux quelques chefs-d’œuvre qu’il a créés dans les années 1890. L’historiographie traditionnelle a eu tendance à élever au rang d’icônes indépassables ces quelques œuvres. Quitte à dénigrer parfois sa production plus tardive, ou au contraire à voir en elles un expressionnisme précoce. Plutôt que d’opposer un symbolisme fin-de-siècle à un expressionnisme qui ancrerait Munch dans la scène moderne. Le musée d’Orsay a choisi une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande cohérence. Le symbolisme chez Munch doit être lu comme l’épine dorsale de toute sa production artistique.
C’est pourquoi le parcours proposé ne s’astreindra pas à une approche chronologique. Il se construira plutôt sur le principe du cycle, qui a joué un rôle clé dans sa pensée et son art. Fasciné par le concept de métabolisme, Munch exprime en effet l’idée que l’humanité et la nature sont inexorablement unies dans le cycle de la vie. dAns ce cadre, il élabore une iconographie inédite, en grande partie inspirée par les philosophies vitalistes de Friedrich Nietzsche et d’Henri Bergson. Munch l’a lui-même souligné en parlant de sa Frise de la Vie : « ces toiles, il est vrai relativement difficiles à comprendre, seront […] plus faciles à appréhender si elles sont intégrées à un tout.» On peut relire dans une perspective analogue les grands projets qui l’ont occupé à d’autres moments de sa carrière. Comme le décor réalisé pour la nouvelle Université d’Oslo (alors Christiana).
L’oeuvre de l’artiste peintre
La notion de cycle intervient ainsi à plusieurs niveaux dans l’œuvre de Munch. Elle est un outil essentiel pour la compréhension globale de sa peinture. Mais elle intervient aussi dans la construction même de ses toiles, où certains motifs reviennent de façon régulière. Seule cette lecture permet d’appréhender pleinement son processus créatif singulier. il le conduit à réaliser régulièrement de nombreuses déclinaisons d’un même motif, mais aussi plusieurs versions d’un même sujet, passant sans rupture d’un médium à un autre.
L’exposition invitera donc à revoir dans sa globalité l’œuvre de Munch en suivant le fil d’une pensée picturale toujours inventive : une œuvre à la fois foncièrement cohérente, voire obsessionnelle, et en même temps constamment renouvelée.
Commissariat :
Claire Bernardi, Conservatrice en chef peintures au musée d’Orsay Assistée d’Estelle Bégué, Chargée d’étude documentaire au musée d’Orsay